Classe préparatoire ECP

Article du Monde Campus du 20/02/2023

Par 0690023a ddfpt, publié le lundi 20 février 2023 12:22 - Mis à jour le lundi 20 février 2023 15:29
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Après le sentiment de déclassement, la revanche des bacs pro en classe prépa...

Après le sentiment de déclassement, la revanche des bacs pro en classe prépa
Seulement quatre établissements proposent une classe préparatoire aux grandes écoles économiques et commerciales, voie professionnelle (ECP) destinée aux bacheliers de la filière pro. Un tremplin pour tenter d’accéder à la « voie royale ». 
Par Eric Nunès


Le professeur de philosophie a des allures de corsaire, crâne lisse, boucles d’oreilles dorées et sourire rusé. Cet après-midi de janvier, Denis Guillec fait face à Roselina, Abdelkbir, Tom, Francine et les dix autres élèves de la classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) destinée aux élèves titulaires d’un bac professionnel du lycée Ampère, à Lyon. « CPGE » et « bac pro », certains pourraient croire à un oxymore, mais l’heure n’est pas à la rhétorique, elle est à la philo : « Descartes distingue les âmes basses et les grandes âmes, ces dernières n’attendent pas le bonheur de l’extérieur, car même dans l’adversité, elles sont capables de le construire », expose l’enseignant, indiquant à ses élèves un chemin qui, il y a peu, ne leur était pas promis.
L’assiduité n’a pas toujours été le point fort des étudiants de M. Guillec. Beaucoup ont eu un parcours scolaire chaotique, comme Nassim Boussaid, 19 ans, qui n’a « pas trop » de souvenirs des cours de mathématiques dispensés au collège. Par contre, les heures de colle, oui, il s’en souvient bien. « J’ai toujours été à l’école avec l’idée de m’amuser, travailler n’a jamais été sur ma liste. » Son orientation en fin de 3ᵉ est compliquée. « J’ai candidaté auprès d’un lycée qui voudrait bien de moi » malgré un dossier scolaire « pas ouf » dit-il. « Contre toute attente », il est accepté en bac pro métiers du commerce au lycée Casanova, à Givors.
Au lycée, l’adolescent commence sa mue, s’assagit – « j’en ai eu marre de faire rire les gens et de donner une fausse image de moi ». Comme la plupart de ses camarades lycéens, il pense « finir » dans un BTS. Mais Hélène Duhamel, sa prof principale, lui parle d’une autre voie : une classe préparatoire aux grandes écoles économiques et commerciales, voie professionnelle (ECP). Il postule et le lycée Ampère, qui a ouvert cette classe à la rentrée 2022-2023, l’accueille.

 

Il existe en France quatre classes préparatoires ECP. Le premier établissement à avoir ouvert sa porte aux bacheliers de la filière pro est le lycée René-Cassin de Strasbourg, en 2010 ; il a été suivi par le lycée Jean-Perrin à Marseille et celui de la Venise-Verte, à Niort. « Ces classes sont un outil qui permet de lutter contre ce déterminisme social qui pénalise nos jeunes issus de baccalauréats professionnels », décrit Grégory Mitilian, professeur d’économie à Marseille. Un sérieux coup de pouce gratuit (les quatre établissements sont publics) pour pouvoir tenter de faire un grand saut des filières courtes à la « voie royale ».


Apprendre à apprendre
Pour ce faire, les élèves de prépa ECP disposent de trois années avant de pouvoir passer les concours d’entrée aux grandes écoles de commerce. Soit une année de plus que les prépas traditionnelles. « La première année est celle de la mise à niveau, explique Jean-Yves Le Bouedec, directeur délégué aux formations professionnelles et technologiques au lycée Ampère. Le niveau académique des élèves est faible, nous repartons des bases, en langues, en mathématiques, en français. » La culture générale, la curiosité, l’expression orale et écrite sont également le socle nécessaire, pour pouvoir être compétitif dans les concours d’accès aux écoles de commerce. L’enjeu majeur de cette première année est pour les élèves d’apprendre à apprendre. « On nous demande de nous organiser, de la rigueur, de l’approfondissement », témoigne Nassim. Un nouveau monde et une opportunité.

Les candidats ne se bousculent pourtant pas à l’entrée des classes prépas ECP. A Lyon, 24 places étaient ouvertes sur Parcoursup en janvier 2022. Le lycée reçoit 80 candidatures. « Nous ne sélectionnons pas forcément les meilleurs élèves, mais ceux qui montrent une réelle appétence pour des études longues », assure Yves Le Bouedec. Les notes dans les matières principales, l’appréciation du chef d’établissement et la lettre de motivation sont également examinées. Les auteurs d’un « copié-collé » sont assurés de ne pas passer. Résultat, à la rentrée de septembre, 8 places n’étaient pas pourvues. Le déficit est encore plus marquant à Niort : ils étaient 5 à faire leur rentrée cette année, alors que la classe est calibrée pour 24 élèves.
« La prépa ECP donne des perspectives à des jeunes qui sont déjà cabossés de la vie et qui ont néanmoins un vrai potentiel » – Philippe Grand, proviseur de la cité scolaire Ampère
« Cette filière est méconnue des élèves, des parents mais également des professeurs », regrette Aline Mousset, professeure d’économie, droit et management, à Niort. Les responsables des ECP se démènent pour faire connaître leur cursus lors de journées portes ouvertes, de présentations dans les établissements du secondaire, de journées d’immersion pour prouver aux lycéens que la prépa est à leur portée. Il faut convaincre. « C’est une formation contre-intuitive pour les lycéens comme pour leurs enseignants du secondaire, analyse Arnaud Grégoire, professeur d’économie et de droit, à Strasbourg. Ces élèves ont eu de grandes difficultés au collège et leurs profs au lycée ont travaillé trois ans pour les remotiver. Il y a certainement une appréhension à les remettre dans un cursus qui, croient-ils, peut les plonger à nouveau dans l’échec. »
La marche est parfois trop haute. A Lyon, ils étaient 16 étudiants à inaugurer cette première année ; après un semestre, deux d’entre eux ont quitté la classe. Au lycée René-Cassin à Strasbourg, on compte environ 50 % d’abandons sur les trois années. « Mais il ne s’agit pas d’échecs », précise Arnaud Grégoire. Les classes ECP ont une convention avec leurs universités locales qui, en cas de décrochage, permet aux étudiants de rejoindre une licence en économie gestion ou de se réorienter vers un BTS. La prise de risque est minimale pour les volontaires, la prépa est juste une chance à saisir.


« Une nouvelle vie »
C’est également une revanche. « La plupart des élèves qui se retrouvent en bac pro ne l’ont pas choisi », rappelle Abdelkbir Benadoud, 19 ans, élève en classe prépa au lycée Ampère. Les élèves racontent « un sentiment d’infériorité », « un déclassement » et le revirement ressenti lorsqu’ils sont acceptés en classe préparatoire. « C’est une chance, témoigne Roselina Roux, 18 ans, bachelière du lycée français de Tananarive, à Madagascar, une nouvelle vie. »

 

Ouvrir des places en ECP, « c’est donner des perspectives à des jeunes qui sont déjà cabossés de la vie et qui ont néanmoins un vrai potentiel », observe Philippe Grand, proviseur de la cité scolaire Ampère. Et le cursus fonctionne. La quasi-totalité des élèves qui vont au bout de leurs années préparatoires intègrent une école, et parfois parmi les plus prestigieuses. L’EM Lyon a mis en place un partenariat avec la prépa Ampère pour les accompagner. « Les grandes écoles s’ouvrent à de nouveaux profils, ceux qui ont dû fournir le double d’efforts pour réussir car ils ne partent pas de la même ligne d’horizon sociale », souligne Christine Di Domenico, professeure d’économie dans la grande école de management lyonnaise. Des jeunes assez forts pour sortir de la catégorie dans laquelle ils ont vite été rangés. René Descartes saluerait ces grandes âmes.
 

Eric Nunès

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